La France, avec ses 2,8 millions d'hectares de terres cultivées en bio, soit 10 % de sa surface agricole totale, se positionnait en 2021 comme le leader de l'agriculture biologique au sein de l'Union européenne (UE). Cela représentait une croissance significative par rapport à 2012, lorsque les surfaces dédiées à la bio en France s'élevaient à 9,4 millions d'hectares dans l'ensemble de l'UE-27, atteignant 15,6 millions d'hectares en 2021. Cette expansion a été principalement portée par la France.
Parallèlement, le nombre d'exploitations agricoles engagées dans l'agriculture biologique en France a également connu une augmentation remarquable. Entre 2011 et 2021, le nombre d'exploitations bio est passé de 23 100 à 58 400, représentant 13 % de l'ensemble des exploitations agricoles. Cette croissance est d'autant plus remarquable qu'elle a eu lieu dans un contexte de diminution globale de 2,3 % du nombre d'exploitations agricoles en France entre 2010 et 2020.
Cependant, malgré ces avancées, le secteur de la bio connaît actuellement un ralentissement. Plusieurs signes de ce ralentissement se manifestent, avec un déséquilibre entre l'offre et la demande, des produits bio reclassés en conventionnel, des fermetures de magasins spécialisés, et des producteurs qui renoncent à leur certification ou abandonnent la production biologique. De plus, la part de consommateurs réguliers d'aliments bio a diminué de 16 % entre fin 2021 et fin 2022, et la part de personnes n'ayant pas consommé de produits alimentaires biologiques sur une année a atteint 17 % en 2022, soit le double de 2021.
Plusieurs éléments contribuent à expliquer cette situation.
Multiplication des labels et allégations
Un des facteurs qui affectent le secteur de la bio en France est la multiplication des labels et des allégations sur les produits alimentaires. Outre l'appellation "bio", de nombreuses autres allégations mettent en avant des caractéristiques spécifiques des produits, telles que "zéro résidu de pesticides", "sans sulfites ajoutés", "sans nitrites", "vegan", etc. Cela crée une confusion pour les consommateurs et rend le choix d'achat plus complexe.
D'autre part, certains produits qui se prétendent équivalents à la bio, voire moins chers pour les producteurs, attirent l'attention des consommateurs. Il existe également de nombreux cahiers des charges publics ou privés, tels que les engagements de coopératives en matière d'agriculture durable ou les filières de qualité de la grande distribution, qui concurrencent la bio.
Le rôle de l'agroécologie
L'agroécologie, en pleine institutionnalisation en France, est également venue concurrencer l'agriculture biologique. Bien que l'agroécologie puisse être complémentaire à la bio, son développement génère également une certaine concurrence, bien que la bio soit actuellement le modèle le plus avancé parmi les différentes formes d'agriculture écologique.
Inflation et pouvoir d'achat
L'inflation des prix alimentaires en général a un impact sur les produits bio, qui deviennent un élément d'ajustement dans les dépenses alimentaires des ménages. Malgré une inflation moins importante pour les produits bio que pour les produits conventionnels, la demande pour les produits bio diminue, tant dans les grandes et moyennes surfaces que chez les distributeurs spécialisés. La vente directe semble mieux résister, ce qui a déjà été le cas pendant les confinements liés à la pandémie de Covid-19.
La question des prix est également soulevée, bien que la différence de prix en faveur des produits bio varie en fonction des produits et des canaux de distribution. Par exemple, dans le cas du lait de vache, les prix payés aux producteurs bio et conventionnels se sont rapprochés entre 2021 et 2022, tandis qu'une différence significative persiste dans les prix de détail pour les consommateurs.
D'autres critères d'achat
Les préoccupations environnementales et de santé restent les principales motivations pour l'achat de produits bio, mais les consommateurs tiennent de plus en plus compte d'autres critères, tels que la proximité (circuits courts par rapport à la bio industrialisée), une rémunération équitable des producteurs, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la réduction de l'utilisation de plastique ou de cuivre, le bien-être animal, etc.
Certains consommateurs sont également sensibles aux produits locaux, ce qui peut parfois prendre le pas sur l'achat de produits bio. L'étiquetage en magasin privilégiant jusqu'à présent les aspects nutritionnels a également eu un impact sur la bio, mais cela pourrait évoluer avec la mise en place d'étiquetages prenant en compte les impacts environnementaux ou sociaux des modes de production.
Soutien public en question
Les aides publiques jouent un rôle important dans le développement de l'agriculture biologique. Cependant, les retards dans le paiement des subventions aux agriculteurs bio et la suppression de l'"aide au maintien" en 2017 ont freiné de nombreux producteurs. Le rapport de la Cour des comptes sur l'évaluation du soutien de l'État à la bio est critique sur la réalisation des objectifs du programme, notamment la conversion de 15 % des terres ou la fourniture de 20 % de produits bio dans les cantines publiques en 2022. La Cour des comptes recommande d'informer les citoyens sur l'impact environnemental et sanitaire de l'agriculture biologique et de réorienter les soutiens publics en faveur de la bio.
Nécessité de repenser les chaînes de valeur
Il est essentiel de réfléchir aux enjeux liés à l'organisation des chaînes de valeur des produits bio, encore sous-estimés par les professionnels et les pouvoirs publics. Cela peut aider à améliorer la viabilité des exploitations biologiques, l'accessibilité des produits bio pour les consommateurs, et la compréhension des impacts de la bio sur l'environnement.
Pérenniser le soutien financier
Outre le soutien à la conversion vers l'agriculture biologique, l'État devrait envisager des aides pérennes qui rémunéreraient les services rendus à la société par l'agriculture biologique. Cette reconnaissance financière permettrait de faire face aux coûts de production plus élevés pour les agriculteurs bio et de maintenir un écart de prix significatif pour les consommateurs.
La France s'est fixé un objectif ambitieux de 25 % de surface en agriculture biologique d'ici 2030, conformément au pacte vert européen. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de surmonter les défis actuels et de faire de la bio un modèle agricole durable et respectueux de l'environnement.
En fin de compte, la question qui se pose est la suivante : comment la France peut-elle maintenir son leadership dans l'agriculture biologique tout en répondant aux attentes changeantes des consommateurs et en faisant face aux pressions inflationnistes et aux défis de la transition agricole ?
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